Lyne Héritier, une sylphide parmi nous
Quand j’étais enfant, j’imaginais que les fées, dans les forêts, voltigeaient à la manière des papillons et des libellules, toutes de grâce et de gentillesse à notre égard. Je les ai longtemps cherchées entre les arbres, les feuilles, dans les fourrés. Jamais elles ne sont venues murmurer à mon oreille. Je suis devenue adulte et un jour, je suis arrivée chez Lyne Héritier. J’ai compris alors qu’une fée s’était incarnée, rendant à la terre le plus bel hommage que l’on puisse imaginer : créer grâce à elle des objets pour embellir la vie quotidienne des humains. Musardant dans la grande pièce d’accueil qui permet de se familiariser avec son travail, j’entendais sa voix qui parlait aux enfants à qui elle enseignait les rudiments de la poterie.
Puis elle est venue nous accueillir, l’amie qui m’avait emmenée dans son antre, et moi. Elle avait certes pris les traits d’une humaine, elle conservait néanmoins une légèreté de fée dans le maintien, les gestes, les paroles. Et cette façon naturelle, avenante, d’évoquer sa passion pour l’œuvre manuelle. En côtoyant cette magicienne qui marie les quatre éléments air, terre, feu, eau, pour en tirer l’intrinsèque âme, je pénétrais dans un autre univers. Je la regardais malaxer la matière avec force et souplesse, pragmatique et poétesse de puissances telluriques qu’elle semblait séduire pour mieux les plier à sa volonté. Ou plutôt, en l’occurrence, à la volonté des enfants qu’elle accompagnait.
Une fois la leçon terminée, les petites têtes plus ou moins blondes ont retrouvé leurs parents. Lyne Héritier a repris son souffle, s’est allumé une clope et a débouché le vin sous le soleil de son jardin.Cet autre monde baigné dans une indicible paix, et à deux pas, le foyer dans lequel elle pratique la cuisson en fosse. Mais préalablement, elle est allée recueillir des argiles de la région, qui vont l’aider à créer des personnages ou des animaux échappés de ses mains, qui traduisent, selon elle, le mythe de l’Homme, ces mains si promptes à insuffler la vie.
Qu’elle façonne des personnages longilignes ou savamment boudinés, que ceux-ci traînent une valise, portent sur la tête le poids d’une planète, que des femmes soient suggérées par leur sobriété – telles les « Femmes quilles », qu’elle permette à des oiseaux de se détacher d’une forme géométrique et à divers animaux de se muer en œuvre d’art, Lyne Héritier voltige de sculpture en sculpture. Celles-ci affirment une puissance intérieure, une solidité, un ancrage à la terre-mère. Difficile de penser que la sylphide Lyne leur a infusé cet équilibre qui d’instinct retient le regard du visiteur. Si le feu marque ensuite les œuvres de son empreinte, de ses teintes oscillant entre noir, gris fumée, rouille, Lyne Héritier garde la haute main sur les couleurs de la vaisselle. Et c’est ici que s’inscrivent les nuances de l’arc-en-ciel comme autant de taches, de gaietés qui transforment la table des hommes en fureurs festives.
Puisse la sylphide de Châtillon flirter encore longtemps avec les lutins qui lui inspirent la beauté, tout simplement.
Bernadette Richard